Il fut un temps où la cuisine de rue était à la mode : pour manger une tête d’agneau grillée, il fallait aller du côté du Passage. Pour un « lablabi », ce bol de pois chiche savamment préparé et garni, il fallait se diriger vers Bab Jedid. Pour un « Kaftegi » royal, il faudrait qu’il soit comparable à celui que l’on confectionne à Kairouan. Et d’autres plats tunisiens qui ont leurs rois et qui titillent les babines des gourmets.
Ces plats, il faudrait le reconnaître, nous ne savons pas en faire une curiosité qui attire non pas seulement les gourmets tunisiens, mais aussi étrangers. Au Maroc, par exemple, le tajine a toute une mise en scène, un cérémonial, que l’on vient de loin pour voir et admirer et qui a acquis ses lettres de noblesse. Dans les pays asiatiques, on effectue le déplacement rien que pour déguster des plats qui vous marqueront toute votre vie.
Nous possédons sans aucun doute ce genre de préparations, mais nous ne savons pas les vendre et en faire des arguments de vente qui rappellent le pays. A part le couscous, bien entendu. Sous la poussée de la paresse et de la facilité, ce sont les fast-foods qui ont mis sous l’éteignoir tout ce monde, ces traditions qui demeurent repliées sur elles-mêmes et qui ont indéniablement besoin d’être mises en vedette. C’est aussi ça le tourisme !
Troisième meilleure salade
La salade « méchouia » tunisienne vient d’être classée troisième meilleure salade dans le monde. Comment exploitera- t- on cette distinction ? Alors que la cuisine de rue s’est repliée, c’est la poussée des fast-foods qui a pris le relais.
Combien y a-t-il de fast-foods dans le pays ? Combien de pizzas sont vendues tous les jours ? Connaît-on le nombre de hamburgers que l’on débite un peu partout aussi bien dans les points de vente spécialisés qu’aux restaurants qui exploitent aussi allégrement ce filon ? Combien de bols de « lablabis » ou autres soupes populaires anoblies par une demande pressante et en continuelle progression sont- elles englouties lors d’une pause-repas ? Notre interlocuteur, auquel nous avions posé la question, n’a pu nous donner une réponse proche de la vérité. Dans un grand éclat de rire, il nous a répondu de manière évasive, tout en ne quittant pas des yeux les ouvriers peintres qui donnaient les derniers coups de pinceaux à la porte d’entrée : «Quel que soit le chiffre que je vous donnerai, il sera dépassé par celui des jours qui suivent. On en ouvre tous les jours et pour un métier à la mode, nous devenons de plus en plus nombreux ».
Le gain facile… !
Et de poursuivre : «Tenez, à une dizaine de mètres de mon local, il y a un nouveau qui a repris les lieux et profité du mois de ramadan pour s’organiser et se lancer. Il a transformé un magasin de brocante en fast-food. Tout en sachant qu’avant d’être repris par un brocanteur, c’était une gargote qui vendait essentiellement des plats cuisinés. Cela n’a pas marché et le fonds de commerce a été cédé à un brocanteur. C’est donc un nouveau candidat à la restauration rapide qui réussira peut-être ou qui, par manque de métier, sera obligé de partir ».
Ces nouveaux arrivants, souvent attirés par le gain facile, sont-ils du métier ? Personne ne le saura. Avant que le succès ne fasse la réputation des lieux ou que l’on ferme le local pour intoxication alimentaire. Cela pose automatiquement la grande question: sur le plan de l’hygiène, de la manipulation, des possibilités de stockage et de roulement des denrées alimentaires que l’on brasse à tour de bras, la santé du consommateur est-elle garantie ? Seuls les services d’hygiène sont en mesure de répondre, car avec cette activité à la mode, il y a toujours des risques et sans pour autant freiner ce qui est après tout une activité où des milliers de familles deviennent à l’abri du besoin, il y a des précautions à prendre et des mesures à exiger pour protéger le consommateur. En effet, tout en reconnaissant que la majorité écrasante de ces fast-foods tiennent la route, il y a ceux qui font n’importe quoi et qui constituent une menace pour la profession, et bien entendu, pour le consommateur. Depuis cette histoire du Covid 19, le secteur s’est mis à évoluer. Les gens, cloîtrés, ont trouvé plus pratique de commander des repas légers et qui ne coûtent pas très cher.
Ce commerce de la restauration légère a, depuis, fortement évolué. Les offres se sont diversifiées et on peut désormais commander, indépendamment des pizzas, hamburgers, sandwichs variés, makloub, salades sur commande, ou autres spécialités, des plats plus huppés. Toutes les classes sociales y passent. Des familles modestes aux cadres, c’est le passage obligé pour se tirer d’affaire. Sans oublier que ces points de vente constituent des lieux de rassemblement pour les jeunes qui s’y retrouvent avant de rejoindre la maison familiale ou tout simplement leurs foyers. C’est donc la mode et certaines échoppes ont acquis, dans les chefs- lieux des gouvernorats, en banlieues ou sur les villes côtières, une réputation telle que l’on s’astreint à attendre longuement son tour pour se faire servir.
Les grands de la partie
Bon nombre de ces fast-foods se sont mis d’accord avec de grands restaurants qui se sont adaptés pour sous-traiter ces commandes. Ils y trouvent largement leur compte, faute de clientèle suffisante pour couvrir leurs frais et gagner de l’argent. « C’est ce qui explique que certaines commandes sont assez salées, mais la clientèle paie ».
Dans le même ordre d’idées, les restaurants sont mis à contribution pour les grandes occasions familiales. Ils sont en concurrence directe avec des « organisateurs » qui prennent tout en main pour mettre en place, décors, musique, et autres atours qui se greffent sur la restauration de masse.
Les fast-foods sont, de toutes les façons, une véritable fonction sociale par les temps qui courent. Les familles, dans lesquelles le père et la mère travaillent, n’ont pas beaucoup de choix. Une bonne, avec les nouvelles contraintes qui ont fait de cette fonction un véritable métier, revient cher et les familles qui sautent le pas ne sont pas à l’aise en laissant leur domicile à une personne dont ils ne savent rien. « Notre seule garantie, c’est la recommandation du bureau intermédiaire et ce n’est pas grand-chose », reconnaît une dame qui a eu le mérite de faire appel à une gouvernante qui se chargeait de préparer les repas du soir pour toute la famille avant de rentrer chez elle. « Nous n’avons pas eu à nous plaindre, mais… ».
Hygiène et qualité
La moue explique bien des choses et l’ambiance dans laquelle vit le pays avec ce que rapportent les différents médias, la confiance n’est pas encore instaurée. Il faudra beaucoup plus de temps pour que les choses aillent mieux. Il n’en demeure pas moins que les fast-foods remplissent cette fonction sociale qui permet aux familles de s’en tirer sans beaucoup de dégâts. Bien entendu, le renchérissement du coût de la vie a fait grimper les prix de la restauration rapide d’une façon vertigineuse.
En dépit de ces augmentations, il y a des entreprises qui ont choisi de fournir de bons repas valables dans les fast-foods pour éviter les tracas que pose la restauration au sein des entreprises. Les offres se sont, par voie de conséquence, développées et les repas servis sont assez consistants pour valoir le prix.
En constante augmentation. « Cela s’explique par les prix des produits avec lesquels nous préparons nos plats ou tout simplement les hamburgers, et les méchouis qui sont très demandés, surtout les week-ends.
Les pommes de terre, poivrons, oignons, tomates et autres intrants sont beaucoup plus chers et nous exigeons de la qualité, car notre clientèle peut refuser une livraison qui ne lui sied pas. C’est son droit. Notre réputation est en jeu et c’est en fin de compte notre fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle beaucoup de candidats, attirés par cette activité, et misant sur le gain facile, sans avoir tenu compte des difficultés d’approvisionnement et des prix qui suivent une spirale vertigineuse, calent», précise notre interlocuteur qui reconnaît qu’il gagne largement sa vie, en s’étant engagé à miser sur l’hygiène et la bonne qualité.